Approcher un fauve, Ara Güler par Samuel Aubin

Pour Samuel Aubin, transmettre la personnalité de son sujet dans toute son authenticité, avec ses qualités et ses défauts, est essentiel pour accéder à son regard de créateur, à son cheminement en tant que photographe. Une approche qui fait la force de son documentaire sur Ara Güler, dont il nous révèle les secrets ici. 

 

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Zoé Isle de Beauchaine : Comment avez-vous découvert l’œuvre d’Ara Güler et qu’est-ce qui a déclenché l’envie de réaliser un film sur lui ?

Samuel Aubin : J'ai habité Istanbul de 2013 à 2017 non loin du Ara Kafe, situé au rez-de-chaussée de l'immeuble familial « Güler » et sur les murs duquel on peut admirer les photos du maître tout en buvant son thé. L'ayant aperçu un jour à proximité du Ara Kafé, découvrant le charisme du personnage, j'ai eu envie de le filmer.

 

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ZB : La plupart des journalistes ayant écrit sur Ara Güler raconte qu’ils ont été prévenus, en amont de leur reportage, que le photographe avait un caractère bien trempé et que l’entretien se déroulerait selon son bon vouloir. Comment a-t-il réagi à la caméra ?

SA : C'est vrai, Ara Güler avait un caractère bien trempé. C'était un fauve, il fallait apprendre à l'approcher. Habiter à quelques minutes du café où il allait quotidiennement m'a beaucoup aidé, j'y allais très souvent, nous sommes devenus proches. Et Fatih, son assistant, a tout de suite compris que je ne venais pas en prédateur, il m'a beaucoup aidé dans la relation avec Ara.

 

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ZB : Votre documentaire laisse une grande place aux coulisses du film, donnant à voir cette forte personnalité d’Ara Güler qui commente chaque décision et étape du processus filmique. Montrer ces détails est quelque chose d'important pour vous, que l’on retrouverait dans d’autres films, ou cela est lié à ce sujet en particulier ?

SA : Ce qui me semblait intéressant c'était de voir Ara Güler dans son authenticité. Le voir commenter ce que je fais, me reprendre parfois, c'est accéder à son cheminement de photographe, son regard. Je pense que c'est une chance de pouvoir rencontrer grâce à un film les aspérités d'une personne, ses défauts. Si j'avais fait de lui un portrait univoque glorifiant son talent, le spectateur aurait certes vu de très belles photos mais il n'aurait pas rencontré la vivacité et la malice du regard de son auteur. L'enjeux pour moi était de connaître le photographe au moins autant que ses photos.

 

ZB : Son assistant et ami Fatih Aslan est présent tout au long du film, et vous lui rendez hommage en conclusion. Pensez-vous que l’on a tendance à parfois trop se concentrer sur la figure de l’artiste et peut-être oublier le travail collaboratif qui souvent permet à une œuvre de s’épanouir ?

SA : Je voulais aussi filmer Fatih Aslan car il donnait toute sa vie pour que le maître soit reconnu à sa juste valeur et qu'il vive des vieux jours confortables. Filmer Fatih chez lui en famille à la fin du film, c'est aussi voir comment le travail photographique d'Ara Güler irrigue la société turque, contribue au récit qui est fait du pays. Ara Güler, un arménien d'Istanbul qui fixe les images d'Istanbul, en fait le récit, ce n'est pas rien.

 

ZB : Vous êtes vous-même un amoureux d’Istanbul, sur laquelle vous avez notamment publié l’ouvrage Istanbul à jamais (Actes Sud, 2020), comment avez-vous redécouvert la ville à travers les yeux d’Ara Güler ?

SA : J'ai d'abord connu Istanbul à travers les romans d'Orhan Pamuk, et c'est par ses livres que j'ai en premier lieu connu Ara Güler. Vivre à Istanbul pendant les années de bascule du régime (2013 à 2017) aura été une expérience très marquante pour moi, et c'est ce que j'essaie de traduire dans mon roman. On y trouve d'ailleurs une scène avec Ara Güler que j'ai puisée dans un moment réellement vécu puis fictionné.

 

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Entrevue réalisée en juin 2024
Les photos sont tirées du film 
Ara Güler, il était une fois Istanbul
réalisé en 2017 par Samuel Aubin

Le film lié à cet article

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51’
Ara Güler, il était une fois Istanbul

Une ville immortalisée par le regard d'un maître.