Fragments : une entrevue avec Bettina Rheims

Bettina Rheims se confie à Emmanuel Bacquet sur ses inspirations, son processus créatif, et son évolution artistique. Apprenez comment ses projets, de la série Gender Studies aux portraits de femmes incarcérées, reflètent un engagement croissant et une quête continue pour capturer l'essence de ses sujets, transcendant les conventions de la photographie.

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Emmanuel Bacquet : Vous avez beaucoup photographié les femmes, bien que pas exclusivement, et ce qui est marquant, c’est la façon dont les repères apparaissent comme brouillés dans vos images. Aucun classement apparent entre les stars et les inconnues, entre les photos de commandes et celles faites en dehors de toute campagne…

Ce traitement « à égale » entre stars et inconnues, et ces lignes floues entre travail de commandes et vos recherches personnelles ont marqué votre travail.
Dans vos travaux plus récents ; Gender Studies, Détenues, ou Naked War avec les Femen, on pressent un détachement de la commande, de la mode, du luxe, du glam vers une orientation beaucoup plus engagée, est ce juste ?

Bettina Rheims : Oui, c’est probablement plus visible - j’ai travaillé pendant 40 ans ; au départ, je n’imaginais pas la photographie comme un possible métier, une profession. J’ai commencé par faire des photos par curiosité, pour mon plaisir, les développer, le moment du tirage me passionnait, je pouvais passer des nuits entières dans le labo sous la lumière rouge, avant de ranger les tirages dans des boîtes… puis le reste du temps j’avais un autre travail.
Et puis un jour, j’ai changé d’approche, grâce au soutien bienveillant (pas toujours !) d’Helmut Newton qui a été mon maître, et qui m’a fait rencontrer son agent, je me suis mise à gagner ma vie en faisant des photos de commande.

Au milieu de toutes ces photos de commandes, il y a toujours « la photo » celle qui vous attrape, celle qu’on repère immédiatement sur la planche-contact ; parfois, c’est une ou deux dans une série, parfois plus.
Celles-là me semblaient aller bien au-delà d’une parution, ou d’une campagne dans un magazine. 
Alors, je les sortais du dossier commande pour en faire des œuvres.
Je leur faisais passer ce mur en béton qui était alors quasiment infranchissable entre « art » et « commande ».

Ça m’a d’ailleurs passablement desservie : les gens des musées disaient « elle travaille pour les magazines, c’est vulgaire ! » les gens des magazines disaient « oui, mais c’est une artiste, ça va être difficile de la faire travailler ».
Cette confusion du statut de l’image, de son genre de commande ou artistique, a toujours été ma manière de travailler. Les choses ont depuis un peu bougé heureusement, le mur est bien plus poreux, mais à l’époque dans les années 90, ça déroutait beaucoup.
Et si l’on regarde parmi mes photos les plus iconiques, bien souvent, elles « n’étaient » au départ que des images de commande.

J’ai toujours aimé travailler sur les deux aspects : la commande m’a servie tout au long de « laboratoire » pour les projets plus personnels.
J’étais au studio quasiment tous les jours pendant un an, deux ans, on enchaînait les séances, on mettait du crédit de côté. Quand j’avais envie de me relancer dans un projet perso et dès que l’on pouvait le financer, on mettait le téléphone du studio sur répondeur, et on partait !
Le projet terminé, ça devenait un livre, une expo… et on revenait à la commande.

Il faut aussi dire qu'à ce moment-là quand on avait une commande, on avait les moyens, des moyens techniques pour expérimenter de nouvelles choses, la possibilité de travailler avec les meilleures équipes ; coiffeurs, stylistes, maquilleurs, qu’ensuite, j’emmenais avec moi sur d’autres projets. 

Puis petit à petit, j’ai fini par me dire que la commande au fond n’avait plus besoin de moi.
Sans doute bousculé par l’arrivée du numérique, puisque pour faire des photos désormais, il n’y avait plus vraiment besoin de « savoir-faire », des lumières notamment.
Et si le but ultime était désormais de mettre les photos sur Instagram, ça ne m’intéressait pas. 

Parallèlement et dans le même temps, les Stars ont commencé à être entourées de managers, de « managers d’image », ça a changé la relation et la spontanéité, il fallait prendre en compte des contrats avec des marques, qui leur interdisait de faire telle chose, leur imposait telle autre. Toute cette créativité que j’avais pu avoir pendant des décennies avec des gens célèbres, je la voyais s’affadir de plus en plus. 

Jusqu’au jour où j’ai décidé que mes projets personnels m’intéressaient davantage, et que j’allais progressivement abandonner les commandes.
Finalement, ça n’a pas été si progressif que ça, au moment où je n’en avais plus envie, les clients eux n’avaient plus non plus besoin de moi parce que… maintenant un peu n’importe qui peut faire des photos !
Et puis les budgets ont rétréci aussi : les projets personnels, je les finançais surtout avec les bénéfices du studio, mis à part les projets très importants où j’ai eu la chance d’avoir des mécènes.

J’ai souvent travaillé comme dans le cinéma : au cinéma, on a un producteur, un financier, et on peut travailler très longtemps sur un film et dépenser beaucoup. J’ai eu cette chance d’avoir de gros sponsors pour les projets personnels, que ce soit pour I.N.R.I., pour Shanghai, pour Rose, c’est Paris. Ces travaux se sont montés comme des productions de cinéma, je suis probablement une des seules photographes à avoir eu l’opportunité de produire mon travail comme ça.

 

EB : Mais les marques, les commanditaires, sont aussi dans le besoin et même l’attente d’avoir un travail artistique très personnel ?

BR : Oui, l’attente était forte : passer la porte de mon studio, c’était vouloir cette chose singulière de mon travail : pas simplement un nom connu ou parce que j’étais « bankable », mais de pouvoir s’approcher de mon univers, des émotions, des fantasmes… 
J'ai eu beaucoup de liberté ; aujourd'hui avec « la censure » avec « ce qu’on a le droit de faire et de ne pas faire », il y a bien des images que je ne pourrais plus faire, je serais directement clouée au pilori.

 

EB : Mais finalement ça a été aussi le moyen de retrouver une forme de liberté et d’indépendance, de se détacher de la commande ? Cette volonté de ne pas aller dans les lieux communs, d’être rétive à toute forme de récupération, c’est aussi fondamental pour vous ?

BR : Oui, bien sûr, par exemple, on me demande toujours si je suis féministe : bien sûr que je suis féministe, mais je n’ai jamais eu besoin de l’exprimer en prenant publiquement la parole : mon travail parle de lui-même !
J’ai aimé des femmes fortes et fragiles, des femmes à part c’est vrai aussi que je suis une femme et que j’ai besoin d’une certaine complicité avec les modèles.
On me demande parfois si j’ai des trucs, quel est mon secret ? Je n’en ai pas et je pense que l’on a tous les mêmes outils. J’utilise les outils de tout le monde. Après, il est question de cette relation qu’il faut établir avec quelqu’un qu’on n’a jamais vu qui va faire l’image. Quelqu’un qui va pousser la porte bleue du studio, et avec qui on va passer une journée. Quelqu’un chez qui on va devoir trouver de la joie, de la tristesse, de l’émotion… C’est cette alchimie qui me tient, qui me donne le sens de la justesse des images que l’on fabrique ensemble.

 

On ne me voit pas quand je photographie ; je suis cachée, à moitié derrière l’appareil, donc ce qui les guide, c’est ma voix. Vite, j’ai réalisé que je ne pouvais pas me taire, qu’au moment où je rentrais dans le silence, je perdrais le fil qui nous lie : le modèle devant et moi derrière l’appareil.

 

EB : Il y a une intensité particulière dans le huis-clos du studio et dans la mise en scène, y a t-il aussi un aspect « divan d’analyste » dans le rapport au modèle ?

BR : Les gens me parlent souvent lors des prises de vue, parfois même, ils ne s’arrêtent pas de parler, et moi, je leur parle en retour.
Il faut s’imaginer la scène ; on ne me voit pas quand je photographie ; je suis cachée, à moitié derrière l’appareil, donc ce qui les guide, c’est ma voix.
Vite, j’ai réalisé que je ne pouvais pas me taire, qu’au moment où je rentrais dans le silence, je perdrais le fil qui nous lie : le modèle devant et moi derrière l’appareil.
C’est à cet endroit, sur cette tension, que j’ai capté toutes ces choses merveilleuses que ces femmes m’ont données au fil du temps.

 

EB : On évoquait la psychanalyse, il y a aussi l’inquiétante étrangeté de Freud et le surréalisme qui créent une tension particulière dans Rose, c’est Paris ?

BR : Rose, c’est Paris, c’est un projet que j’ai conçu avec la complicité de Serge Bramly, c’est en réalité le récit à demi-mots de nos parcours, de nos enfances.
Nous avons tous les deux étés élevés à Paris, plus ou moins dans les mêmes quartiers, mais sans se connaître. Vingt ans plus tard, on a découvert que nos petites sœurs étaient dans la même classe en primaire. On était donc très proches, totalement ignorants l’un de l’autre, mais géographiquement proches avec les mêmes images en tête. Rose, c’est Paris, c’est un double hommage à cette époque, la rencontre d’une ville au tout début du 20e siècle et l‘avènement du surréalisme qui m’a toujours inspirée. 

Nous sommes repartis des écrits d’André Breton, et de Fantômas (qui est un roman absolument surréaliste) et des aventures de ce mystérieux héros criminel de la littérature populaire écrites par Pierre Souvestre et Marcel Allain. 
Il nous fallait donc un récit narratif ; Rose, c’est Paris, serait une histoire qui prendrait Paris comme toile de fond, deux sœurs jumelles, l’hypothèse d’une disparition, une quête effrénée à la recherche de Rose disparue, ça nous mènerait dans des lieux interlopes… une histoire qui serait aussi l’histoire de nos familles.
Et on s’est basé sur nos mémoires pour en faire un récit en photos. 
Ça répondait aussi à mon interrogation de savoir s’il était possible de raconter une histoire en photo sans pour autant tomber dans le « roman photo ». 

 

 

L'heure creuse, janvier 2009, Le Magic, boulevard de Clichy, Paris © Bettina Rheims

L'heure creuse, janvier 2009, Le Magic, boulevard de Clichy, Paris © Bettina Rheims

 

EB : Et l’évocation de Marcel Duchamp ?

BR : La présence de Duchamp est un fort apport de Serge qui connaît très bien son travail et a écrit un livre sur son œuvre : on a entremêlé nos obsessions qui sont cohérentes. 
Le film et les photos se répondent : Serge avait une caméra, moi j’avais un appareil, je faisais mes photos, et lui il filmait. Le seul « interdit » dans le dans le « cahier des charges » c’était qu’il ne rentre pas dans le champ de mes photos. Après un très long travail de préparation, on a déroulé les scènes, et on a découvert des lieux improbables. 
En 2010, nous avons monté l’exposition Rose, c’est Paris à la Bibliothèque nationale de France de la rue Richelieu. C’est une exposition à laquelle je tiens beaucoup, Il y avait treize chapitres, et chaque chapitre occupait une salle différente.
Dans chaque salle il y avait un passage du film en regard des photos correspondantes.
C’était une expo passionnante.

 

EB : Sur les travaux qui ont suivi, et la série Gender Studies, il y a cette réflexion sur le genre, qui correspond à une évolution sociétale, la « fluidité » des genres, on se retrouve face à une autre forme de tension : celle d’un désir qui n’est plus identifié à des schémas.

BR : J’ai commencé ce travail en 1986.

Au hasard d’un casting que je faisais pour une publicité, le même jour se sont présentés un garçon avec des cheveux longs, christique et un peu féminin, et une jeune fille qui avait un visage de petit garçon. 
J’ai rapproché les deux polaroids du casting côte à côte, et j’ai senti que quelque chose se passait.
Modern Lovers marque le début de cette réflexion, on est alors au cœur de la tragédie des années Sida. Alors même que le virus était en train d’oblitérer toute possibilité de sexualité, je rencontre une nouvelle génération, des très jeunes entre 15 et 18 ans qui ne veulent plus être qualifiés ou être conformés au binaire du genre masculin / féminin ; je découvre leur désir puissant de jouer leur séduction ailleurs, à côté.

C’était aussi au même moment que Jean-Paul Gaultier choisissait des mannequins très androgynes dans ses défilés.
C’était en 1986 et depuis je n’ai pas cessé de travailler sur la question du genre : j’ai fait un travail sur la transexualité, notamment avec mon amie Kim Harlow. 

J’ai ensuite laissé de côté ces recherches pendant une vingtaine d’années et un jour je les ai reprises, je me suis demandée où on en était. J’ai alors mis une annonce sur Facebook…
(Il faut dire aussi que je me demandais encore à quoi Facebook pouvait servir : je n’ai jamais posté mes moments de vie privée, je ne regarde pas non plus la vie privée des autres, ça ne m’intéresse pas).

J’ai donc publié sur Facebook un post dans cet esprit : « Je suis Bettina Rheims, c’est moi qui ai fait Modern Lovers, si vous vous sentez différents vous aussi, venez me voir ». 
Modern Lovers avait été un succès monumental, le livre avait été réimprimé plus de cinq fois, ça avait vraiment été révélateur de quelque chose de fort. 

J’ai eu beaucoup de réponses qui arrivaient du monde entier !
C’est à partir de là que s’est construit Gender Studies
Pour ce projet je me suis associée avec un artiste du son qui s’appelle Frédéric Sanchez. Il avait installé une cabine de son, à côté du studio, et à la sortie des prises de vues, les modèles rejoignaient Frédéric où il enregistrait leur témoignage. 
Frédéric a créé une très belle pièce sonore où se mixent et se répondent des voix qui vibrent entre le masculin et le féminin. 

 

EB : Le film Gender Studies, que l’on présente ici, est en effet vraiment particulier : le mélange du grain de la voix, et du grain de la peau, c’est un film très tactile…

BR : Absolument ! Dans l’exposition qui était constituée de pièces carrées, il y avait au milieu de chaque salle carrée ce son et toutes ces voix qui s’entremêlaient…

 

Au hasard d’un casting que je faisais pour une publicité, le même jour se sont présentés un garçon avec des cheveux longs, christique et un peu féminin, et une jeune fille qui avait un visage de petit garçon. J’ai rapproché les deux polaroids du casting côte à côte, et j’ai senti que quelque chose se passait.

 

EB : il y a eu aussi des séries plus dures : les Détenues, Naked War avec les Femen, là votre travail s’oriente vers une certaine rugosité.

BR : Depuis une dizaine d'années, mon travail devient plus politique, mais tout depuis est devenu ouvertement politique à vrai dire. 

La série des Détenues, ça été un bouleversement. 
Depuis des années, Robert Badinter avec qui j’ai la chance de pouvoir parfois déjeuner, me poussait avec insistance. Il me disait « Bettina il faut aller en prison voir ces femmes incarcérées ». J’ai longtemps résisté par peur, et ne sachant pas comment aborder vraiment ces questions de la peine, de l’enfermement, d’être femme dans ces lieux où le regard et la liberté vous sont retirés.
C’est devenu impératif !

En 2014 après des mois d’échanges et de négociations, j’ai enfin eu l’autorisation et le soutien de l’administration pénitentiaire pour organiser au sein de chaque établissement des séances de prises de vue avec des femmes qui s’étaient portées volontaires. 
Je suis allée à la rencontre de ces femmes qui n’avaient pas fait le choix de vivre entre quatre murs. Nous avons beaucoup parlé. Elles se sont racontées, et j’ai tenté de leur offrir un moment hors de ce temps-là. 

Quelques portraits ont été présentés à La Maison européenne de la photographie lors de mon exposition rétrospective en 2016. 
En 2018 la série est devenue une installation qui assemble plus d’une cinquantaine de portraits. L’exposition qui a rencontré un grand succès a été accueillie dans des lieux très différents à la Sainte Chapelle du Château de Vincennes, au Château de Cadillac près de Bordeaux converti au 19e siècle en « école de préservation de jeunes filles » où l’on plaçait de jeunes mineures considérées comme délinquantes. L’année dernière, elle était présentée à la Friche la Belle de Mai à Marseille. Les Éditions Gallimard touchées par le projet m’ont fait l’honneur de publier le livre dans la collection “la Grande Blanche”. 

Naked War avec les activistes Femen prolonge d’une certaine façon mon engagement après le projet des Détenues
J’ai découvert leurs actions à travers un documentaire à la télévision.
Inna Shevchenko, figure majeure des Femen était interviewée, j’ai été interpellée : elles n’étaient pas qu’un corps ; elles avaient un propos construit et percutant. J’ai eu envie de les rencontrer pour comprendre comment elles mettaient en action leur corps comme un outil politique. Elles ont inventé le « nu politique ». 

Après plusieurs rencontres, des discussions agitées pour dissiper nos craintes, elles ont accepté de me rejoindre sur ce projet. C’est devenu un moment politique et très engagé. 
Elles m’avaient demandé de ne pas les faire poser de façon « girly », et bien sûr il n’était pas question pour moi de détourner leurs paroles et leurs actions.
Sur une semaine entière nous avons réalisé cette série de portraits, un espace minimal juste sur fond blanc, un socle comme le pavé, et ces femmes militantes qui venaient de partout : Paris, Berlin, Madrid, Montréal, Stockholm….  Ça a été vraiment très joyeux, très fort et très puissant à la fois !

 

EB : Vous avez aussi repris leurs propres phrases et slogans ?

BR : Bien sûr ce sont leurs phrases écrites sur leurs corps, sublimés par le travail de cet incroyable maquilleur qu’est Topolino…

 

EB : D’ailleurs comment travaillez-vous, avez-vous une équipe de prédilection ?

BR : Je dois beaucoup au maquilleur Topolino ; je lui dois les Christs de I.N.R.I., les très beaux maquillages de Rose c’est Paris, le travail avec les Femen dont je parlais, comme l’incroyable travail sur les Héroïnes
Il y a des personnes comme lui qui m’ont accompagnée tout au long de ma vie et dont on ne parle pas assez. Je pense aussi à cet incroyable coiffeur : David Mallet ;  j’ai fait mes plus belles images avec lui !

Ce sont eux qui ont traversé avec moi toutes mes périodes : les travaux de commande, mes travaux personnels, les voyages à l’étranger… C’est mon équipe : des gens avec qui j’ai souvent passé plus de temps qu’avec mes proches !

Je fais un travail qui s’élabore en équipe, je ne me suis jamais baladée seule avec un appareil photo. D’ailleurs je n’en ai pas, ceux que j’utilise sont stockés quelque part au studio. 
J’élabore mes photos avec mes collaborateurs, c’est une construction, comme une toile, comme une sculpture. 
Tout est pensé à l’avance, et tout est prêt jusqu’au moindre détail de coiffure, la robe, la culotte que la jeune femme va porter, la lumière dont on a parlé auparavant.
Quand j’arrive ensuite sur le plateau, à moi de donner ce « coup de pied », de renverser « la belle machine », pour que l’image se produise. 
Ça ne marche pas à chaque fois, quelquefois c’est juste une jolie photo, mais parfois ça devient bien plus…

 

EB : Avec votre équipe sur le plateau, vous avez besoin d’être en totale confiance ?

BR : Oui, si quelqu’un respire trop fort ça peut me gêner! Les gens qui m’entourent savent que c’est un plateau silencieux, qu’on ne se jette pas sur le modèle pour modifier la coiffure ou un détail ; ils n’interviennent que quand je le dis. C’est un tête à tête qui n’en est pas vraiment un.

Quand les modèles arrivent à la porte, ce ne sont pas non plus les mêmes que quand elles entrent sur le plateau. Toute l’attente, le maquillage, la coiffure qui précède, c’est le sas, le temps de préparation qui permet de se sentir de plus en plus en confiance.
Ce moment est important pour moi aussi : quand Kate Winslet arrive au studio à 7h du matin, je ne la connais pas encore, même si j’ai vu tous ses films.
Il faut qu’on ait ce temps pour faire connaissance.

 

EB : Même des stars très habituées à la caméra sont toujours un peu en fragilité devant votre objectif ?

BR : Mais oui, absolument, la fragilité fait partie du jeu : on en a besoin, je me sers même de cette fragilité !

 

EB : À propos d’équipe, avez-vous un tireur ou une tireuse attitrée ?

BR : Pendant trente ans Choï a été mon collaborateur vraiment très proche : pas une image n’existait sans que Choï ne l’ait vue et n’en ait fait des tests… malheureusement il s’est arrêté de travailler il y a une dizaine d’années à la suite d’un accident. Mais il était « mon autre paire d’yeux » : on construisait ensemble l’image finale, il était toujours au studio.

 

EB : Sur quel projet vous travaillez actuellement ?

BR : Je ne peux pas encore en parler… mais on le saura bientôt !

 

Bettina Rheims, mai 2021

 

 

 

Note :
Choï : Choï Chung Chun est né à Hong Kong en 1949 et a commencé son apprentissage en assistant son oncle photographe. L’adolescent qui rêvait de devenir peintre arrive à Paris en 1965 pour s’inscrire à l’école des Beaux-arts. Il a tout juste seize ans. Il en a dix-neuf quand il commence à travailler dans un laboratoire où il se perfectionne en tirage jusqu’à devenir un spécialiste du grand format. Réputé rare et brillant, Choï y reçoit ses clients photographes avec lesquels il entretient une relation de travail amicale et singulière. (éléments de bio de Choï par Hervé Le Goff)

 

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Crédits photo couverture : 
Madonna laying on the floor of a crummy hotel room in a Lacroix dress, September 1994, New York© Bettina Rheims 

 

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