La quête d'inspiration : Entrevue avec Mathieu Le Lay

Le réalisateur Mathieu Le Lay revient pour nous sur son travail. On découvre à quel point son film sur le travail d’Alexandre Deschaumes relève d’un engagement et d’une humilité face à la nature, qu’il partage avec le photographe.

 

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Emmanuel Bacquet : Comment est né ce projet de film, comment avez-vous rencontré Alexandre Deschaumes ?

Mathieu Le Lay : Ce projet de film est né de ma rencontre avec Alexandre Deschaumes en 2011. Un collègue photographe m'avait présenté son travail photographique. L'onirisme et les ambiances qui s'en dégageaient m'avaient aussitôt parlé et énormément séduit. Alors que je finalisais mon premier film documentaire pour la télévision, Des Gypaètes et des Hommes, Alexandre était venu assister à l'avant-première du film à Annecy. Après 3 années à suivre le gypaète barbu dans l'arc alpin, j'enchainais sur les tournages du film avec Alexandre qu'on allait intituler un peu plus tard: La Quête d'Inspiration. Alexandre cherchait initialement à produire des vidéos pour les stages photo qu'il proposait dans les Alpes et dans quelques régions reculées du monde dont l'Islande et la Patagonie. Je lui ai plutôt proposé cette idée de projet de film documentaire pour magnifier son art en immersion dans son univers. Un an plus tard, après des tournages dans les Alpes, en Islande, en Patagonie et en Bretagne, le film sortait sur les chaînes Montagne TV et Ushuaïa TV en coproduction avec Mona Lisa Production (société de production lyonnaise). Un peu plus tard, le film connaîtra un succès dans les festivals internationaux avec plusieurs prix et distinctions ainsi que plusieurs diffusions internationales.

 

EB : Vous avez nécessairement, pour faire ce film, vécu la même vie que le photographe : marcher, camper, être physiquement dans la nature : le tournage a dû être une aventure ?

MLL : D'un point de vue pratique et physique, nous avons tous les deux vécu les mêmes choses. Marcher, grimper, escalader aux mêmes endroits, sur les mêmes rochers, au bord des mêmes précipices. L'engagement était important notamment pour supporter le poids des sacs (le mien avoisinait souvent les 30kg en milieu montagneux, un poids largement dépassé lors de notre tentative d'expédition autour de la montagne du Fitz Roy en Argentine). Bien que nous ne soyons ni grimpeur, ni alpiniste, nous connaissions tout de même nos limites, si bien que nous n'avons jamais pris de risques inutiles. D'ailleurs, notre expédition en Patagonie a dû être avortée car les conditions climatiques étaient extrêmement compliquées (tempêtes de vent et de pluie).

Je n'ai pas vécu la même vie que le photographe mais je me suis en revanche clairement plongé dans son univers, au point de me nourrir de son art. D'un point de vue artistique, il a fallu que je trouve des possibilités pour retranscrire au mieux son univers et son rendu photographique en vidéo. Pour cela, j'ai utilisé le matériel qu'Alexandre utilisait beaucoup à ce moment-là, à savoir divers filtres dégradés pour reproduire notamment des ciels très chargés, ténébreux et contrastés. La collaboration avec Alexandre fut très spontanée et intuitive, on a beaucoup appris tous les deux de cette expérience qui m'aura permis d'expérimenter des choses nouvelles dans l'approche artistique, ce qui rend ce film assez unique finalement. C'était le seul moyen d'être le plus fidèle au travail d'Alexandre et de lui rendre ainsi hommage.

L'année de tournage sur ce film est un de mes plus grands souvenirs d'aventure. Physiquement c'était très difficile mais on en ressort grandi et d'autant plus fier une fois ces expériences terminées.

 

Je suis persuadé que le moment présent ne se vit pas de la même façon, avec ou sans appareil photo.

 

EB : Pensez-vous que la photographie soit un moyen de vivre plus intensément le paysage ou un moyen de le partager avec les autres ?

MLL : Je pense que la photographie permet, en quelque sorte, de vivre plus intensément le paysage. En revanche, je suis persuadé que le moment présent ne se vit pas de la même façon, avec ou sans appareil photo. Je ressens cela en vidéo, je ne vis pas l'instant de la même façon avec mon matériel de prise de vue. J'adore cadrer et immortaliser un paysage, mais j'apprécie aussi énormément prendre une pause pour sortir mon regard du viseur et contempler un moment le paysage. La notion d'être ici et maintenant, à un moment donné et dans un lieu précis, prend toute son importance. Alors que lorsque j'ai l'œil dans mon objectif, je fais appel à ma part créative et je me sens inspiré par ce que je vois.

La photographie est un outil incroyable de partage avec les autres. L'appareil photo est le prolongement de l'œil humain. Chaque regard posé sur un paysage est unique en soi. Le partage devient puissant car c'est la représentation propre à chacun de la réalité, d'un point de vue artistique mais aussi émotionnel. Aujourd'hui, je pense que la photographie est devenue très accessible à tous et chacun peut s'exprimer au travers de l'image. L'émergence des réseaux sociaux au cours de cette dernière décennie joue également un rôle important dans ce partage autour de la photographie. 

 

EB : Vous êtes vous-même photographe, comment fait-on, particulièrement en photo, pour « cadrer » l’immensité? C’est forcément un choix ; y a-t-il des axes, des focales à favoriser ?

MLL : Je n'aurai pas la prétention de dire que je suis également photographe. Certaines personnes de nos jours multiplient facilement les casquettes et se présentent comme étant photographe, vidéaste, aventurier, écrivain etc. J'ai toujours pensé qu'en se consacrant corps et âme à une seule et même passion, on parvient à obtenir un résultat beaucoup plus abouti. J'ai toujours eu l'impression de ne pas vouloir trop me disperser dans diverses activités créatives et artistiques parce qu'elles demandent de déployer une énergie considérable et surtout elles nécessitent beaucoup de temps pour parvenir à un certain résultat. J'aime donc l'idée de me dévouer à un seul et même corps de métier, en l'occurrence à la réalisation de films que je pratique à temps plein. De l'écriture au montage, en passant par le développement et les tournages, je participe activement à toutes les étapes de la production d'un film.

Dans mon approche cinématographique, j'ai toujours aimé retranscrire au mieux l'immensité de la nature et de ses paysages. Pour cela, j'aime cadrer avec une silhouette dans le paysage pour donner une échelle à taille humaine. L'homme est petit et vulnérable dans cet univers et cette approche cinématographique me permet de véhiculer ce type de messages, de montrer à quel point nous sommes fragiles, qu'il faut arrêter de se croire supérieur à tout. En avoir pleinement conscience nous rend plus humble.

 

EB : On sent bien dans votre film « la quête de l’inspiration », la dimension spirituelle du rapport au paysage, à l’immensité. On peut penser à Ella Maillart et ses réflexions sur la condition humaine, au fil de ses voyages et de ses photographies. Photographier la nature rend-il philosophe ?

MLL : J'ai toujours été attiré par la spiritualité. Cette dimension spirituelle fait partie intégrante de ma quête personnelle et de ma démarche en tant qu'artiste. Très jeune déjà, je me posais de nombreuses questions existentielles, du type "Qu'est-ce que je fais sur cette Terre? Pourquoi suis-je en vie? Quelle est ma mission?" La place de l'homme dans la nature me passionne. Dans mes réalisations, les personnages évoluent dans une nature sauvage et grandiose où j'aime aborder des sujets liés à la condition humaine: les passions, le défi à la mort, la connexion à Mère-Nature. J’ai aussi cette volonté de dresser le portrait de personnes qui suivent passionnément et assidûment leur quête personnelle. La nature ne me rend pas forcément philosophe mais elle me permet en tout cas de réfléchir à ces sujets qui me paraissent essentiels.

 

EB : Quels sont vos prochains projets de film ou de photographie ?

MLL : Je finalise en ce moment deux prochains films qui suivront la quête de photographes. Un de ces films est consacré à l'univers épuré et minimaliste du photographe animalier Jérémie Villet, récemment primé au Wildlife Photographer of the Year 2019 dans la catégorie jeune "Rising Star" (l'étoile montante). J'ai suivi Jérémie au Yukon, dans le froid et le blanc du grand nord canadien, à la recherche de la chèvre des montagnes, un animal iconique des rocheuses canadiennes qui subit de plus en plus les effets du réchauffement climatique. L'autre film dressera le portrait de Laurent Baheux qui photographie en noir et blanc la faune africaine et notamment les grands félins d'Afrique. Afin de rester le plus fidèle à l'univers photographique de Laurent, le film sera réalisé quasi intégralement en noir et blanc.

Un autre film d'auteur verra le jour en 2021 sur le thème de la consommation et du développement durable. Pour aborder ces sujets qui me semblent incontournables à l'heure actuelle, j'ai choisi de suivre le projet de construction d'un habitat autonome qu'un ami américain a récemment initié dans le Montana.

Je continue également de développer de nombreux autres projets de films documentaires et un court-métrage de fiction qui verra peut-être bientôt le jour.

 

Mathieu Le Lay, janvier 2021

Le film lié à cet article

La quête d'inspiration 0004
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Alexandre Deschaumes | La quête d'inspiration

Terrains hostiles, beauté sauvage, photographie extrême...