Still Not There : Entrevue avec Kimmo Koskela

Kimmo Koskela est réalisateur, artiste visuel, et producteur. Ses films, où les frontières entre documentaire et film d’artiste s’estompent, font preuve d’un univers très personnel. Ce qui n’exclut pas la rencontre : Le film Still not there avec Arno Rafael Minkkinen, atteste d’une grande complicité créative. Une complicité et un rapport à la photographie sur lesquels le réalisateur revient pour nous...

 

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Emmanuel Bacquet : Comment le projet de « Still Not There » a-t-il débuté avec Arno Rafael Minkkinen ?

Kimmo Koskela : Quand j’ai obtenu mon diplôme d’une école de photographie en Finlande, à 23 ans, j’ai vendu ma guitare électrique et acheté un billet d’avion à destination de New York pour y passer l’été en dormant sur le canapé d’amis de la famille. Au bout d’un mois, je n’avais bien entendu plus un sou, j’ai donc téléphoné à Arno dont j’avais suivi le workshop inspirant l’été précédent en Finlande. Je lui ai demandé si je pouvais travailler pour lui en tant qu’assistant. J’ai bien peur que non, m’a t-il d’abord dit, et puis il m’a demandé si je savais peindre une maison. Bien sûr, lui ai-je répondu, je peux venir et repeindre la maison. Ce que j’ai fait. Ça a duré cinq semaines au lieu de trois, mais c’est ainsi qu’a commencé notre amitié au long cours.
Trois ans plus tard, je suis parti à New York pour un shooting de mode, une entreprise finlandaise voulait que la ville serve de cadre aux photos et aux clips vidéo. J’ai alors proposé à Arno de profiter du voyage pour lui rendre visite et engranger du matériel documentaire sur lui et sur sa photographie. Arno venait régulièrement en Finlande, et durant les six années suivantes j’ai continué à documenter son travail dans des lieux divers : Paris, New York, le nord de la Finlande, autour du bassin méditerranéen, etc. C’est avec ce matériau que j’ai convaincu la TV finlandaise de produire un documentaire sur Minkkinen. Ce qui nous a permis de financer un tournage en Laponie où nous avons transcrit ses autoportraits photographiques en images animées, en autoportraits vidéo selon les termes actuels.

 

EB : Comment avez-vous construit le film et partagé le travail créatif avec Arno Rafael Minkkinen ?

KK : Au tout début, je n’avais pas la moindre idée de ce que je pourrais faire de ce matériau, mais travailler avec Arno était facile, efficace, gratifiant et amusant. Petit à petit, d’un simple documentaire avec des experts, etc. j’ai voulu passer à un niveau plus conceptuel.

Après ces années de captation documentaire sur lui, j’ai demandé à Arno ce qu’il pensait de l’idée d’installer une caméra à l’endroit où il pose son appareil photo quand il fait ses autoportraits, et de filmer ses photographies en images animées. Cela me semblait être le meilleur moyen de montrer son œuvre de manière plus profonde, plus visuelle pour un documentaire sur lui en tant qu’artiste, parce qu’il est également le sujet de son œuvre. Nous en avons bien entendu longuement parlé, car le risque était de traverser la fine ligne de démarcation entre mon travail d’auteur en tant que cinéaste et sa pratique artistique, d’où la nécessité d’en discuter et de s’accorder sur les limites de chacun afin de ne pas empiéter sur le travail de l’autre. Je crois que c’est au sauna, après quelques verres de whisky, que nous nous sommes mis d’accord sur ce concept. De mon côté, je n’avais aucun doute sur le fait qu’il s’agissait uniquement du travail original de Minkkinen et de ses créations que je devais capturer sous forme de film à utiliser dans le documentaire. Pendant le montage de ces scènes, j’ai vraiment été en phase avec Arno. La question essentielle était d’en montrer assez pour plonger au cœur du processus créatif et de la mise en œuvre de ces extraordinaires autoportraits, sans en montrer trop pour ne pas briser la magie en dévoilant leur procédé de fabrication. Travailler avec Arno était et a été très fructueux, surtout parce que nous avons le même genre d’humour, ce qui est très important. 

 

La question essentielle était d’en montrer assez pour plonger au cœur du processus créatif et de la mise en œuvre de ces extraordinaires autoportraits, sans en montrer trop pour ne pas briser la magie en dévoilant leur procédé de fabrication.

EB : Dans vos films, la nature est-elle toujours omniprésente comme ici ?

KK : Pas vraiment, mais la Finlande est un grand pays peu peuplé, donc la nature est très présente et toute proche de vous. On peut se retrouver au milieu d’une nature sauvage à trente minutes d’Helsinki.

 

EB : Quelle relation entretenez-vous avec la photographie (celle que vous aimez, celle que vous faites) ?

KK :  J’aime la photographie et j’ai photographié toute ma vie durant, mais c’est la captation d’art dans le temps (Time-Based Art) qui m’a dirigé vers cette carrière professionnelle. Le rapport que j’entretiens à l’art a toujours été fondé sur les images et la photographie, avec un zeste d’avant-garde. C’est peut-être la raison pour laquelle j’aime particulièrement les films de photographes comme Stanley Kubrick, Wim Wenders, Agnès Varda, et ceux de réalisateurs visuels comme David Lynch, Lars von Trier, Jonas Mekas, Roy Andersson, Alejandro Iñárritu, etc.

 

EB : Sur quoi travaillez-vous pour l’instant? Vous avez un autre projet de film avec Arno Rafael Minkkinen, pouvez-vous nous en parler ? 

KK : Après Still Not There nous avons travaillé sur un projet de long métrage dont Arno est le scénariste. Cela fait maintenant dix ans que le projet est en route, ce qui résonne délicatement avec le titre de notre documentaire Still Not There.  Notre objectif est qu’il soit produit et diffusé dans les deux ou trois années à venir. D’ici là, cet automne, je serai chef opérateur sur un autre long métrage finlandais.

 

Kimmo Koskela, Février 2021
Traduit de l’anglais par Emma Bajac

Le film lié à cet article

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49’
Still Not There, Arno Rafael Minkkinen

La nudité comme expression artistique : le voyage de Minkkinen.