Une nécessité de documenter la réalité, la photographie chilienne par Sebastián Moreno

Le réalisateur Sebastián Moreno est le fils du photographe José Moreno, l’un des membres de l’AFI qui ont témoigné sans relâche des réalités du régime de Pinochet. Dans cet entretien il évoque pour nous cette période difficile de l’histoire du Chili qu’il a vécue à travers les images de son père et nous en dit plus sur les photographes de l’association. 

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Zoé Isle de Beauchaine : Vous êtes le fils de José Moreno, l'un des photographes de l'AFI. Dans le documentaire, vous mentionnez que vous avez vécu les événements de l'époque à travers les images de votre père. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette période et sur la manière dont vous l'avez perçue à travers votre père ? Comment sa vie était-elle organisée à l'époque ?

Sebastián Moreno : Lorsque j'étais enfant, personne ne s'occupait de moi à la maison après l'école, car mes parents rentraient tard du travail. Après l'école, je me rendais donc au bureau de mon père, qui abritait les archives photographiques de l'université du Chili. Il y avait là-bas d'importantes archives photo sur l'histoire du Chili ainsi que d'un très grand laboratoire de photographie. J'y ai passé de nombreuses heures à regarder les archives et à jouer au photographe. Les amis photographes de mon père développaient leurs photos dans ce laboratoire, car c'était un endroit sûr. Leurs photos ne risquaient pas de disparaître.

ZB : Ces photographes travaillaient-ils déjà sur le terrain ou sont-ils devenus photographes par nécessité de documenter la réalité du régime de Pinochet ?

SM : Beaucoup d'entre eux n'étaient pas photographes et le sont devenus au rythme des manifestations, au rythme du maelström qui couvrait la réalité qui se produisait. Ils n'ont pas eu le temps de se préparer. Peu à peu, ils ont créé un langage politique et artistique qui a permis de dénoncer ce qui se passait au Chili.

ZB : Les questions éthiques que les photographes abordent dans le documentaire ont-elles été débattues dès le début de l'AFI ?

SM : Les photographes étaient des reporters de guerre parce qu'ils enregistraient des actes de violence et, par conséquent, cette violence les contaminait également, et ils en ont été souvent victimes. Je pense que les photographes ont pris conscience de leur accoutumance à cette violence lorsque celle-ci a commencé à diminuer à l'approche de la fin de la dictature. Leurs photos sont la preuve que cette violence a eu lieu ; ils devaient donc être présents et, d'une certaine manière, je pense que cela les a aidés à poursuivre leur travail. Cela leur a donné de la force et un sens éthique d'être là pour photographier, qu'ils soient ou non dépendants de la violence et de la douleur. Leurs photographies sont toujours d'actualité.

ZB : Qu'est-il advenu de ces photographes après la fin du régime de Pinochet ?Comment leur pratique a-t-elle évolué ?

SM : Beaucoup sont restés photographes, d'autres ont abandonné la photographie et se sont réinventés. Beaucoup se sont consacrés à des sujets plus personnels, comme la photographie des communautés gitanes, des peuples andins, etc...

Le Chili est un pays de grands photographes qui perdurent encore aujourd'hui et sont considérés comme des maîtres de la photographie. Leurs photos sont éternelles et chaque jour, elles sont de plus en plus appréciées ; chaque jour, on les remercie d'avoir fait ce travail.

Entrevue réalisée en août 2024
Les photos sont tirées du film La Ciudad de los fotógrafos
réalisé en 2007 par Sebastián Moreno