Voir, regarder et écouter suffisent : Faire un film avec Tom Wood, par Emmanuel Bonn
Tom Wood a donné envie à Emmanuel Bonn, cinéaste, de se tourner vers la photographie. Dans cet entretien il nous raconte la découverte de son œuvre et les cinq jours passés avec lui, entre la station balnéaire de New Brighton et sa maison au Pays de Galle, à découvrir ses photographies tout en explorant sa collection de vinyles.
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Zoé Isle de Beauchaine : Racontez-nous votre découverte de l’œuvre de Tom Wood...
Emmanuel Bonn : Adolescent, ma première famille était la musique, un rock'n roll garage band, puis succéda la photo avec l'achat d'un Canon FTb, et enfin le cinéma.
Mon intérêt pour les photographes n'a jamais déserté ma vie de cinéaste. Pour Tom, j'ai découvert son travail à Photo Doc en 2017, où il était invité d'honneur, ainsi que grâce à la galerie Sit Down, à Françoise Bornstein qui en 2018 m'a relaté la vie particulière de Tom. Méconnu jusqu'à encore récemment, il ne gagnait pas sa vie en photographiant la rue. Sa femme payait le loyer... Il est vrai qu'il refusa d'entrer à Magnum malgré la pression amicale de Martin Parr.
Il est vrai qu'il refusa d'entrer à Magnum malgré la pression amicale de Martin Parr. Tom est un puriste sans concessions. Maintenant, avec la notoriété, il rend à sa femme le centuple. Et son nom est une signature mondiale.
ZB : Vous avez d’abord collectionné son œuvre avant de vous lancer dans un projet de documentaire : quel a été le déclic ?
EB : Oui j'ai acheté une photo iconique et historique de Tom wood en 2016 que j'aime beaucoup et qui m'a donné l'envie de faire un film avec et non sur... lui.
Bref, je voulais en savoir plus sur ses secrets de fabrications et son cabinet des curiosités. Son art et la manière. Tout de suite, il m'a dit : "pas question. Le photographe doit garder ses secrets." Et je lui ai répondu : "j'espère bien."
ZB : Comment filmer l'inspiration ?
EB : Mission impossible ! C'est comme les enfants qui ne savent pas encore parler, on s'approche du sujet, le touche, le flaire, bref on tourne autour, mais on ne saura jamais de quel mystère est fait la création.
C'est la musique nous a aussi rapprochés. Il possède une fabuleuse collection de vinyles : classique, pop, jazz, une mine pour son inspiration, sans doute. Et il lit beaucoup : philosophie, romans du 19ème...
ZB : Comment expliquez-vous cet amour des français pour Tom Wood ? Les musées français se l’arrachent tandis que son propre pays semble avoir pris plus de temps à véritablement s’intéresser à lui ?
EB : Les musées, les cimaises parisiennes et de province, ainsi que la presse française le suivent depuis une dizaine d'années en effet. Pour les collectionneurs privés, ce sont les Allemands qui l'achètent davantage et qui en réalité font sa cote depuis vingt ans.
Enfin, coté anglais, Martin Parr estime que Tom est le plus grand photographe britannique contemporain et depuis lors, sa cote au Royaume Uni monte !
Le public français est certes sensible à la photographie sociale et /ou humaniste, c'est dans notre ADN, toutefois il achète peu de clichés comparé aux amateurs suisses, belges ou américains.
ZB : Beaucoup de photographes aiment rester derrière l’objectif. Tom Wood affirme lui-même que son appareil est un moyen d’appréhender le monde. Comment ce sont passés ces cinq jours devant la caméra ?
EB : Bien. D'abord, grâce à ma directrice de la photographie romaine Sabrina Varani avec laquelle je travaille depuis 15 ans et qui communique à merveille avec les artistes. Son regard féminin caresse.
Et aussi grâce à Eric Margolis, le coproducteur, lui même photographe notoire, qui a su mettre une excellente ambiance œnologique. Bref on a vidé les caves de Tom et dansé le soir.
Mais, c'est surtout grâce à la femme de Tom que tout s'est bien passé, elle nous a accueillis chaleureusement chez eux et nous offrait à dîner des mets écossais ! Elle est Ecossaise. Ce que je veux dire par là, une familiarité, une sorte de famille, s'est vraiment installée entre nous tous lors de ce travail de dix jours. Incluant la preparation, repérages et transports pour 5 jours effectifs de tournage. Une convivialité, une amitié, une complicité... Sinon, à quoi bon filmer ?
ZB : Pour ce film vous avez choisi une approche épurée : sans voix off ou questions, vous laissez le spectateur plonger dans le quotidien de Tom Wood et l’écouter parler de son parcours. Est-ce votre mode opératoire habituel ou un choix spécifique à ce projet ?
EB : C'est mon dispositif habituel pour les portraits d'artistes, sauf pour les télévisions mainstream qui hélas veulent généralement de la narration over pour l'audience.
Là, par exemple, Canal Plus devait diffuser le film tel quel en avril 2020 puis le Covid a tout annulé. C'était à l'occasion de la Football League remportée par Liverpool.
Les télévisions n'aiment pas beaucoup programmer les photographes, les architectes, les peintres vivants au travail, sauf les vedettes Martin Parr, Jeff Koons... ou bien elles excellent en hommage sur les morts réalisés en l'absence du principal intéressé.
Je dirais qu'en général, moins on commente un documentaire ou un portrait, plus on accède à la temporalité de l'artiste, du photographe, du peintre ou de l'écrivain, à ses scansions ou imperfections, à sa poésie, ses silences. A l'instar de David Lynch, auquel je n'ai pas la prétention de me comparer, je suis de son avis : " vouloir trouver du sens à un film, à une oeuvre est absurde car il n'y a pas de sens à la vie. Alors pourquoi en trouver dans l'art, au cinéma, en photo ?" Voir, regarder et écouter, suffisent. Ou rêver c'est mieux encore !
Entrevue réalisée en avril 2024
Les photos sont tirées du film Five Days With Tom
réalisé en 2019 par Emmanuel Bonn